Qu’est-ce qu’apprendre à l’ère d’Internet ? Comment comprendre ce qui change et quels sont les invariants du savoir, du comprendre, du partage ? Philosophie Magazine consacre un dossier à ce thème : “Pourquoi nous n’apprendrons plus comme avant” dans son édition de septembre 2012. Derrière ce titre quelque peu affirmatif, le mensuel offre des visions en contrepoints sur les modes d’apprentissage d’aujourd’hui et comment ceux-ci influent sur le monde, la relation aux autres avec des articles de fond, des interviews et des visions de penseurs.
Ce qui change…
Alexandre Lacroix fait le constat que l’enseignant n’est plus le seul détenteur du savoir : “l’étudiant a sur sa table une banque de données supérieure à ce que peut contenir la mémoire du professeur” ; avec un GPS “on ne pourra plus jamais se sentir perdu” ; “la salle de classe n’est plus un espace coupé du monde (…) chacun est relié via Wi-Fi au réseau mondial”. Derrière ces faits qui paraissent anodins, l’effort de réflexion offre un tour d’horizon des technologies de l’écriture de son invention à l’époque contemporaine, ce qui fonde et organise les savoirs.
Lecture numérique
Spécialiste du développement de l’enfant, de la lecture et du langage, Maryanne Wolf est interrogée sur la thématique générale : pourquoi nous ne lisons plus comme avant avec un regard sur le numérique :
“Aujourd’hui, il faut savoir reconnaître le potentiel exceptionnel des nouvelles technologies. Mon désir le plus profond est que les individus soient éduqués de façon à s’interroger et à exercer un regard critique sur la manière d’utiliser les informations.”
Internet : une distraction ?
L’écrivain et essayiste et Nicholas Carr s’essaye à expliciter le titre et les propos de son ouvrage “Internet rend-il bête ?” (traduit en français chez Robert Laffont en 2011) résumée par une formule choc : l’Internet est-il une arme de distraction massive ? Ainsi, à propos du multitasking (action multi-tâches) décrit comme soi-disant naturel chez les enfants, adolescents et jeunes, il déclare :
“En effectuant plusieurs choses à la fois, on perd la capacité de distinguer ce qui est important et ce qui ne l’est pas. On finit par s’intéresser uniquement à ce qui est “nouveau”. On comprend alors pourquoi de nombreuses personnes sont gagnées par un désir boulimique de distractions souhaitant collecter autant d’informations que possible, même quand il s’agit de broutilles.”
Mémoire externalisée
Le dossier de Philosophie Magazine pose aussi la question de la mémoire : celle-ci est de plus en plus externalisée sur des mémoires physiques (disques durs, mémoires flash, cartes mémoires, clés USB…). Qu’advient-il alors de notre cerveau ? Ainsi, Emmanuel Sander, professeur en psychologie, indique :
“Ce qu’on connaît préalablement mesure le potentiel de ce qu’on peut trouver sur Internet. Plus on a acquis de concepts, plus la toile devient riche. Plus on est appauvri, moins on est capable de trouver. Il y a un effet de levier.”
Lien social et apprentissage
Le linguiste italien Raffaele Simone pense qu’à mesure que la culture Web se développe avec un accès instantané, l’école a besoin de renforcer sa présence… Et il affirme la nécessité du lien social de l’apprentissage et donc de la relation humaine comme composante essentielle :
“L’apprentissage, surtout dans les premières phases de l’existence, n’est possible que par la relation entre les êtres humains. Et cela non seulement parce qu’un professeur peut être appelé, selon les besoins spécifiques de ses élèves, à dispenser une aide ciblée, à répéter des notions, à éclaircir certains concepts qui n’ont pas été compris, mais surtout parce que l’apprentissage est principalement une relation affective. L’élève a besoin d’être encouragé, consolé, soutenu, il a besoin d’une reconnaissance (…) qui passe par les yeux de l’autre.”
Dialogue Bernard Stiegler – Michel Serres
En fin de dossier, un entretien avec 2 penseurs du Web et philosophes de 1er plan : Michel Serres et Bernard Stiegler. La discussion porte sur la pédagogie et les technologies, un dialogue passionnant de 60 minutes que l’on retrouver en vidéo sur Philosophie.tv à ces 2 adresses : Pourquoi nous n’apprendrons plus comme avant 1 et 2.