La dernière édition du bulletin trimestriel de la Lettre EMERIT, publication du Centre de Recherche Travail & Technologies de la Fondation Travail-Université de Namur (Belgique), publié en mars 2011 (numéro 65) propose un dossier qui s’interroge sur l’émergence d’une nouvelle génération connectée chez les aînés : “Une “génération internet” parmi les seniors ?” (numéro à télécharger à cette adresse en pdf).
Cet article scientifique capitalise sur des statistiques et travaux belges et européens afin de caractériser les pratiques, capacités, freins et disparités entre seniors au niveau de l’accès, des usages et de l’accompagnement à l’informatique et à l’internet… Y a-t-il là un nouveau type de fracture numérique ?
Effets générationnels
Premier constat posé par l’article : les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) sont bien plus une question de générations que d’âge. Ainsi, la tranche d’âge 55-64 ans est souvent considérée comme un pivot à partir duquel on commence à rentrer dans la catégorie “âgés”. Les auteurs de ce papier scientifique relèvent que les sexagénaires d’aujourd’hui sont les quinquagénaires d’il y a 10 ans (une génération née avant 1950).
Certaines de ces personnes sont déjà sensibilisées ou utilisatrices des TIC de par leur exercice professionnel mais d’autres, également du fait de leur métier, n’ont pas eu cette chance de pratiquer l’informatique ou des machines outils dotées de commandes électroniques ou numériques.
Pour les personnes nées avant 1940, l’informatique reste le plus souvent une inconnue, ceci est d’autant plus vrai chez les femmes (pour des raisons d’accès aux études et d’emploi).
Aussi, quand on évoque la question des seniors et de l’Internet, les niveaux d’appropriation des technologies ne sont pas homogènes tout comme les pratiques et les centres d’intérêt.
La question des inégalités
De même, les inégalités socio-cognitives entre seniors sont importantes et varient en fonction des diplômes obtenus, ainsi qu’entre les hommes et les femmes. On pourrait ajouter que des variables discriminantes sont à ajouter (comme indicateurs) en fonction du bassin de vie (urbain, péri-urbain, rural).
Ainsi, parmi les seniors, les inégalités numériques liées au genre et au niveau d’instruction sont plus profondes pour les générations nées avant 1955 que dans les tranches d’âge plus jeunes. A noter que ces inégalités se superposent à d’autres inégalités, notamment en matière de revenu et de santé et d’autres plus conjoncturelles liées à des évènements de vie (éloignement des enfants, détérioration de la santé, apparition de handicaps, disparition du conjoint, etc.).
Ces observations sont toutefois à niveler en fonction des efforts de sociabilité chez les seniors qui ont développé des réseaux d’affinités et de solidarité hors du monde technologique. Ainsi, ils ont une connaissance des TIC (si ce n’est aussi des compétences) souvent par l’intermédiaire de leurs conjoints, de leurs enfants ou petits-enfants, de leur famille proche, d’amis, de voisins, etc.
Les seniors utilisant les TIC sont nombreux à en souligner des avantages pratiques : relations familiales à distance, organisation des loisirs et activités culturelles, facilitation des transports et actes administratifs… Les auteurs de l’article soulignent l’importance de mettre en avant auprès des seniors des opportunités d’invitation à la pratique par des aspects utiles et concrets de l’apport de l’informatique et de l’internet au quotidien.
Capacités physiques
En terme ergonomique, les seniors présentent avant 60 ans des processus de déclin (mémoire immédiate, rapidité d’exécution, capacités sensori-motrices, vue et audition) et des stratégies de compensation (prudence, capacité d’anticipation, souci de cohérence, méfiance vis-à-vis des excès).
On comprend bien que c’est dans ce “jeu” entre les difficultés ergonomiques (freins), les compétences instrumentales et informationnelles (capacité de sélectionner et exploiter l’information de manière efficace) et compétences stratégiques (capacité d’utiliser les TIC comme un outil au service d’un projet d’individuel ou collectif) que se situe l’originalité de l’apprentissage lié à l’ordinateur et à l’Internet chez les seniors.
S’ajoute à cela que les apprentissages en informatique et internet deviennent vite obsolètes dans un domaine où nouveautés et améliorations logicielles et matérielles apparaissent en mode accéléré. Le corpus de ces objets technologiques est en perpétuelle évolution technique sur des temps courts contrairement à des techniques plus stabilisées (audiovisuel, bricolage, automobile, électroménager) où les temps d’évolution sont plus lents.
Communiquer avant tout
Enfin, la transformation des styles de vie, des modèles au sein de la famille et de la mobilité géographique renforcent le besoin chez les seniors d’échanges entre générations, d’autant plus que les familles à 4 générations deviennent en plus en plus nombreuses dans notre société. Ce besoin communicationnel avec les amis, enfants, petits-enfants et autres membres de la famille constitue une motivation très forte à l’utilisation d’internet par les seniors.
Cet article offre des pistes de réflexion pour l’accompagnement des publics seniors en EPN (espace public numérique).