Le 22 janvier 2013, l’Académie des Sciences a publié un Avis sur L’Enfant et les écrans, un travail de plusieurs mois menés par des chercheurs qui se sont interrogés sur la construction des fonctions cérébrales au regard des sollicitations extérieures sensorielles, affectives et culturelles… dont l’exposition aux écrans numériques.
Les scientifiques qui ont coordonné cet avis (Jean-François Bach, Olivier Houdé, Pierre Léna et Serge Tisseron) tentent de répondre à ces questions que bien des adultes, parents, enseignants, animateurs multimédia, médecins et personnels de santé, associations, institutions se posent :
“Quels sont les risques de dépendance ou de phénomènes régressifs chez un enfant face aux écrans ? Quelle est la place des tablettes interactives et autres nouveaux supports dans l’apprentissage et la transmission des savoirs ? Avec quel impact sur les relations enfant-adulte ? Comment réguler l’accès aux écrans sans l’interdire ? Les jeux vidéo et les réseaux sociaux peuvent-ils être bénéfiques aux adolescents ?”
Culture des écrans : analyses et conseils
De cette nouvelle culture des écrans de la petite enfance la fin de l’adolescence, l’Académie a rendu un Avis, assorti de 26 recommandations, sur les effets de l’utilisation des technologies par les enfants. Cet avis L’Enfant et les écrans est librement téléchargeable en pdf (124 pages, dans une version non imprimable) et est en parallèle édité en version papier aux Éditions Le Pommier : L’enfant et les écrans : un Avis de l’Académie des Sciences (140 pages, 19 EUR) accompagné par l’ouvrage module pédagogique destiné aux enseignants de l’école primaire : Les écrans, le cerveau… et l’enfant par Elena Pasquinelli, Gabrielle Zimmerman, Béatrice Descamps-Latscha et Anne Bernard (216 pages, 19 EUR).
L’originalité de cet Avis est d’intégrer les données scientifiques les plus récentes de la neurobiologie, de la psychologie et des sciences cognitives, de la psychiatrie et de la médecine avec la réalité rapidement évolutive des technologies et de leur utilisation. Les auteurs invitent à la prise de conscience de la révolution en cours et du choc entre la traditionnelle culture du livre et la nouvelle culture du numérique. Ce texte présente les enjeux, les bénéfices et les risques de ce bouleversement en insistant sur la nécessité d’une pédagogie différenciée selon les âges.
Conséquences d’une sur-utilisation trop précoce et une sur-utilisation des écrans
Ainsi Jean-François Bach, Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences explique : “L’utilisation de l’Internet et d’outils numériques variés a transformé d’abord les loisirs, puis l’apprentissage, l’éducation et la formation culturelle des enfants de tous âges. Cette évolution, qui apparait aujourd’hui irréversible, a des effets positifs considérables en améliorant l’acquisition des connaissances et des savoir-faire, mais aussi en contribuant à la formation de la pensée et à l’insertion sociale des enfants et des adolescents”.
L’avis met en garde contre une utilisation trop précoce et une sur-utilisation des écrans qui a des conséquences délétères durables sur la santé, l’équilibre et les activités futures -intellectuelle, culturelle et professionnelle- ; un continuum existe entre les troubles de la concentration, du manque de sommeil et de l’élimination des autres formes de culture, et la « pathologie des écrans », qui provoque d’éventuels comportements dangereux.
26 recommandations
“Elles esquissent les bonnes pratiques d’une éducation progressive, adaptée à chaque âge (avant 2 ans, entre 2 et 6 ans, entre 6 et 12 ans), pour préparer les adolescents (après 12 ans) à autoréguler leur rapport au monde numérique. Les 6 dernières recommandations concernent les risques pathologiques d’un mauvais usage des écrans et la question de la violence.”
De la tablette tactile à la télévision en passant par le smartphone, l’Avis passe en revue la palette des écrans. Il prône une démarche de prévention et d’éducation pour protéger les enfants dans leur pratique d’utilisation et en appelle à la coresponsabilité (famille, enseignants, éditeurs-créateurs, pouvoirs publics) dans la conception et l’accessibilité de l’offre numérique -support et contenu- proposée aux enfants.
I. Principes
1. Prendre conscience de la révolution en cours et du choc entre la traditionnelle culture du livre et la nouvelle culture numérique
2. Prendre du recul par rapport au virtuel
3. S’adapter au mouvement technologique en restant en phase avec la jeunesse
4. Adapter la pédagogie aux âges de l’enfant et lui apprendre l’autorégulation
II. L’enfant avant 2 ans
5. Toutes les études montrent que les écrans non interactifs (télévision et DVD) devant lesquels le bébé est passif n’ont aucun effet positif, mais qu’ils peuvent au contraire avoir des effets négatifs
6. Les tablettes visuelles et tactiles peuvent être utiles au développement sensori-moteur du jeune enfant, même si elles présentent aussi le risque de l’écarter d’autres activités physiques et socio-émotionnelles multiples, indispensables à cet âge
III. L’enfant entre 2 et 6 ans
7. De 2 à 3 ans, l’exposition passive et prolongée des enfants à la télévision, sans présence humaine, interactive et éducative, est déconseillée
8. À partir de 3 ans, le développement des diverses formes de jeux symboliques invitant l’enfant à “faire semblant” l’éduque à distinguer le réel du virtuel
9. À partir de 4 ans, les ordinateurs et consoles de salon peuvent être un support occasionnel de jeu en famille, voire d’apprentissages accompagnés
IV. L’enfant entre 6 et 12 ans
10. L’école élémentaire est le meilleur lieu pour engager l’éducation systématique aux écrans
11. L’utilisation pédagogique des écrans et des outils numériques à l’école ou à la maison peut marquer un progrès éducatif important
12. Une éducation précoce de l’enfant à s’autoréguler face aux écrans est essentielle
13. En famille, les logiciels de contrôle parental sont une protection nécessaire mais insuffisante : le climat de confiance entre enfants et parents est essentiel
V. Après 12 ans : l’adolescent
14. Les outils numériques possèdent une puissance inédite pour mettre le cerveau en mode hypothético-déductif
15. En revanche, un usage trop exclusif d’Internet peut créer une pensée “zapping” trop rapide, superficielle et excessivement fluide, appauvrissant la mémoire, la capacité de synthèse personnelle et d’intériorité
16. L’éducation et le contrôle des parents concernant les écrans restent essentiels, la maturation cérébrale n’est pas achevée à l’adolescence
17. S’agissant des jeux vidéo, une distinction entre les pratiques excessives qui appauvrissent la vie des adolescents et celles qui l’enrichissent est indispensable
18. S’agissant des réseaux sociaux, beaucoup d’adolescents les utilisent positivement comme un espace d’expérimentation et d’innovation qui leur permet de se familiariser avec les espaces numériques, de se définir eux-mêmes et d’explorer le monde des humains
19. Mais les réseaux sociaux peuvent aussi être utilisés de façon problématique
20. La prévention doit associer l’encouragement des pratiques créatrices et les mises en garde
VI. Les risques pathologiques et les écrans
21. Les jeux vidéo – et la réalité virtuelle de façon générale – peuvent constituer un support dans de nombreuses formes de prises en charge
22. Les conséquences des mauvais usages (repli sur soi, manque de sommeil, défaut d’attention ou de concentration, etc.) sont le plus souvent rapidement réversibles
23. Les conséquences problématiques de l’exposition trop prolongée du jeune enfant, plus de deux heures par jour, aux écrans non interactifs (voir recommandation 7)
24. Chez l’adolescent, le problème principal est celui des usages excessifs et parfois pathologiques des écrans
VII. La question de la violence
25. La présence de violence sur les écrans a des effets démontrés : ils appellent des réponses adaptées de la part des parents, des éditeurs, des créateurs et des institutions
26. Une prévention multiple, ciblée et adaptée aux âges de l’enfant